Je ne me demande pas « quoi faire » mais « comment je peux le faire »
Déjà jeune homme, j’ai pris de l’élan et je me suis jeté contre le mur qui sépare l’art de la vie, et j’ai éprouvé la difficulté de démolir les systèmes totalitaires. Peu après, j’ai vu tomber le mur qui sépare les systèmes politiques. Pour construire un imaginaire il faut abattre le mur. Je tire tout de l’art, des images de l’art qui vivent derrière le mur. En revanche, je n’obtiens rien de ce qui est dit ou écrit sur l’art.
Lorsque les nuages transparents de l’histoire se heurtent entre eux et se rejoignent, le ciel est gris, la mer est grise, les feuilles d’olivier sont grises. Tout ce qui est primitif, comme la mémoire, est matière grise. L’univers se perd de vue et la vie commence à naître. J’ai fait descendre le ciel à la terre et j’ai couvert le sol de la galerie du gris de la mémoire avec le métal plomb, aussi conducteur que l’eau de mer, qui est le sédiment de la vie et de la mémoire.
Sur la ligne d’horizon, j’ai écrit les noms avec des néons. Les noms sont la beauté. Ici rien n’est inventé, les noms sont inscrits dans la nature. Je n’invente rien du tout. Je ne fais que trouver. Je traduis les faits des hommes que j’ai trouvés écrits dans la nature de l’art et de la science : les fréquences des vagues dans un lac, face est, face ouest, le temps des premières mesures de l’ouverture de Tristan et Isolde, de Wagner; la diction en lisant un vers trouvé de Valery : « Voici dans l’eau ma chaise de lune et de rose » Nous tombons amoureux de la musique des nombres, comme de l’art, comme de la poésie.
L’art a remplacé la religion. Le plan de la cathédrale est ici le plan de la galerie. Le trône de Dieu, la nature, le préside. La chaise a été accrochée au plafond, dans les voûtes célestes de la galerie. Le porte-bouteille de Duchamp, l’acte le plus blasphématoire de l’histoire de l’art, sur le toit. Dieu-Art sort sa langue et nous donne la bonté de la création, ceci est l’art, ceci est la religion, ceci est la science, ceci est la musique… la vie. La cathédrale est le piano fixé au mur, le squelette du piano, le plan de l’architecte.
Je suis l’architecte Dieu et l’architecte d’intérieur de l’art.
Du reste, ce que j’aime c’est l’événement, te donner l’amour, faire de l’art un acte d’amour.
Jordi Benito